Avis de la FEDIL par rapport aux propositions de la Commission européenne pour une assiette commune de l’impôt sur les sociétés (COM (2016) 685 final), ci-après ACIS, et pour une assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés (COM (2016) 683 final), ci-après ACCIS, du 25 octobre 2016
Le 25 octobre 2016, la Commission européenne a présenté une nouvelle proposition pour une assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés (ACCIS) au sein de l’UE dans le cadre de son ensemble de réformes fiscales des entreprises. Contrairement au projet de 2011, la proposition de 2016 a été divisée en deux textes distincts, l’un avec la consolidation intégrale (ACCIS) et l’autre sans (ACIS). Les discussions portant sur l’élément de consolidation (ACCIS) ne devraient commencer qu’après l’adoption de l’ACIS.
La FEDIL soutient l’intention de la Commission d’améliorer le fonctionnement du marché unique en proposant un régime fiscal harmonisé pour les sociétés. Afin de stimuler l’investissement, la croissance et la création d’emplois au sein de l’UE, il est important de supprimer les obstacles fiscaux aux investissements transfrontaliers dans le marché unique, ainsi qu’avec les pays tiers. Une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés aurait le potentiel de réduire les charges administratives pour les entreprises et de faciliter les activités transfrontalières au sein de l’UE. Néanmoins, la FEDIL a identifié une série d’éléments qui pourraient impacter négativement les entreprises et l’économie en général ainsi qu’un certain nombre de points d’interrogation face au potentiel de simplification administrative de la proposition. Ces éléments semblent à ce stade prévaloir sur les potentiels avantages que les entreprises pourraient en retirer. Ainsi, nous souhaitons souligner que la proposition pour l’ACIS, donc sans l’élément de consolidation, ne satisferait certainement pas les entreprises, y compris en termes de simplification administrative. Par ailleurs, à défaut d’harmonisation des règles comptables au sein de l’UE, le cadre proposé par la Commission risque d’accroître la complexité pour les entreprises qui devront mettre en place un système de comptabilité fiscale spécifique. Finalement, le moment de la présentation des propositions ACCIS et ACIS nous semble mal choisi au regard des nombreux changements devant être mis en place dans un futur proche par les différents Etats membres de l’UE: le projet BEPS au niveau de l’OCDE ou encore les directives ATAD 1 et ATAD 2 au niveau européen. Ces changements demandent d’ores et déjà des adaptations importantes de la part des entreprises multinationales.
Commentaires spécifiques
- L’étude d’impact conduite par la Commission en amont de la proposition ne montre pas suffisamment les implications de l’ACCIS sur le plan national. Les hypothèses du modèle peuventelles réellement être considérées comme assez réalistes ou comme reflétant la diversité du tissu économique ? L’impact sur la compétitivité fiscale des Etats membres vis-à-vis des pays tiers nous semble être négligé par cette étude. Or, la concurrence fiscale ne s’arrête pas aux frontières de l’UE. Rappelons dans ce contexte que les Etats-Unis d’Amérique sont depuis longtemps le premier investisseur au Luxembourg, ce qui nous impose une vigilance particulière en ce qui concerne l’attrait fiscal du Luxembourg.
- Perte de réactivité : Sous le régime ACCIS, le Luxembourg resterait souverain dans la définition du taux d’imposition sur les sociétés. Néanmoins, la possibilité pour le Luxembourg de pouvoir s’adapter au cadre international nécessite un certain pouvoir de réactivité pour adapter la base fiscale. Or, le processus de décision européen risque de devenir long dans la mesure où, d’après les règles communes au sein de l’UE, l’unanimité est requise pour la moindre évolution du cadre fiscal. La proposition limiterait donc en ce sens la capacité du gouvernement à pouvoir prendre des décisions rapidement. La concurrence fiscale au-delà des frontières de l’UE reste un enjeu majeur. Les récentes annonces britanniques ou américaines montrent combien il est impératif de disposer d’une capacité de réaction rapide.
- Contrôle du budget : Du fait que le taux d’imposition et l’assiette d’imposition sont des facteurs clés de politique fiscale, une perte de contrôle dans l’élaboration de la base d’imposition rendrait la politique budgétaire plus complexe et limiterait la marge de manœuvre du gouvernement. Ainsi, une réforme fiscale en faveur des entreprises soumises au régime ACCIS ne pourrait se faire qu’en jouant sur le taux d’imposition.
- Complexité accrue pour les administrations fiscales qui devraient gérer deux systèmes fiscaux en parallèle. Les éléments de simplification administrative de la proposition ne paraissent pas assez visibles, tant pour l’administré que pour l’administration. L’exemple de la TVA a montré qu’avec l’introduction d’un système fiscal unique harmonisé, on est encore loin d’une abolition des disparités nationales au sein de l’UE. Des différences d’interprétation persistent entre Etats membres, affectant une application harmonisée.
- Complexité accrue pour les entreprises qui devront mettre en place un système de comptabilité fiscale spécifique et distinct, ce qui risque d’augmenter considérablement les coûts de mise en conformité pour les entreprises et ce qui serait contraire à l’objectif recherché de simplification administrative. La coexistence de plusieurs systèmes fiscaux risque également de rendre plus complexe les fusions et acquisitions d’entreprises, notamment lorsque ces restructurations entraînent un passage d’un système fiscal à un autre (système ACCIS/système national). Comment gérer dans un tel cas le passé? Quid des pertes reportables, du stock de crédits d’impôts? L’information financière risque de devenir illisible.
- Le régime fiscal en matière de R&D tel que proposé par l’ACIS nous semble être intéressant et offrirait un certain nombre d’opportunités pour les entreprises au sein de l’UE. Il convient cependant de préciser que ce régime resterait moins compétitif que d’autres régimes tels que celui proposé au Royaume-Uni. Par ailleurs, indépendamment de l’adoption de l’ACCIS, un tel régime fiscal incitatif en matière de R&D serait un élément essentiel pour stimuler l’investissement et nous tenons à rappeler que des propositions dans ce sens ont été adressées par la FEDIL au gouvernement. Un tel régime pourrait également compléter un régime IP que nous espérons voir adopté prochainement.
- Clé de répartition : Les éléments qui déterminent l’allocation de la base favoriseraient les pays à forte substance industrielle au détriment des pays dont l’économie est basée sur les services et le commerce. Par conséquent, l’impact pour le Luxembourg serait négatif. En outre, les anticipations en matière d’entrées fiscales seraient difficile dans la mesure où cela présupposerait de pouvoir estimer en amont les résultats d’une filiale d’un groupe multinational à l’étranger.
- Complexité technique : la répartition forfaitaire des bénéfices imposables sur base d’une simple formule tenant compte de certains critères (suivant le projet de consolidation) risque d’être en opposition avec les principes de l’OCDE en matière de prix de transfert qui sont reconnus par tous les Etats membres de l’UE et que l’OCDE fait évoluer en fonction de la pratique avec le soutien de l’UE. Comment faire coexister deux systèmes en parallèle dont l’un serait en contradiction avec l’autre, sauf à créer des problématiques d’effet de seuil (i.e. discrimination entre le système applicable aux entreprises entrant automatiquement dans le système de l’ACCIS et celles qui sont sous le seuil de chiffre d’affaire requis) et d’égalité devant l’impôt entre petite et grande entreprise. S’affranchir des règles de prix de transfert semble d’autant plus étrange à une époque où les prix de transferts sont un pilier du projet BEPS et sont au cœur de nombre des investigations récentes en matière d’aide d’Etats au niveau fiscal.En outre, certaines mesures de l’ACIS/ACCIS sont reprises par l’ATAD sans pour autant être en totale harmonie avec les mesures de l’ATAD (et notamment les diverses options/alternatives qu’elle propose). Dès lors, le Luxembourg pourrait se retrouver à transposer la directive ATAD d’une certaine manière par le jeu des options/alternatives et à adopter potentiellement une autre approche dans le cadre de l’ACIS/ACCIS (qui ne transpose l’ATAD que d’une certaine manière) ce qui risque de rendre la politique fiscale illisible pour les entreprises.Enfin l’interaction de l’ACCIS avec les conventions fiscales internationales est totalement passée sous silence, et notamment l’accès à celles-ci pour les entreprises qui feraient partie d’une consolidation fiscale au sein de l’ACCIS. Une imposition déterminée selon la formule de répartition modifierait-elle la manière de considérer la notion de résident (« liable to tax ») ou la manière d’appliquer par exemple les règles ‘Controlled Foreign Companies’ ?
- Impact sur le financement des communes : comme la base imposable à l’IRC constitue aussi la base imposable pour les besoins de l’ICC, le projet ACCIS pourrait rendre plus complexe le financement des communes. En effet, le calcul de la base devrait se faire selon les règles de l’ACCIS. Il serait tout à fait contre-productif et déplorable si l’application des règles ACIS menait à l’introduction de nouveaux impôts sur le plan national ou communal, ou conduisait à l’augmentation d’impôts existants comme l’impôt sur la fortune, qui constitue déjà un impôt supplémentaire par rapport à d’autres Etats membres.
- Timing et complexité juridique : Une phase de transition est nécessaire pour les entreprises luxembourgeoises : depuis le lancement du projet BEPS, les entreprises luxembourgeoises subissent des changements fiscaux radicaux et extrêmement rapides auxquels elles n’ont que très peu de temps pour s’adapter. Avec l’UE qui a déjà transposé BEPS en un temps record alors que d’autres juridictions non-UE ont préféré attendre avant d’agir afin de voir ce que les juridictions concurrentes faisaient, la solution la plus simple pour certaines entreprises qui ont des activités leur permettant d’être mobiles est actuellement de délocaliser leurs opérations vers des juridictions hors UE. Cette tendance devrait encore être renforcée si l’UE décidait d’aller encore au-delà avec les projets ACIS et ACCIS.
- L’ACCIS, avec l’élément de consolidation, représenterait potentiellement une opportunité pour le Luxembourg de se positionner pour attirer les quartiers généraux des entreprises. Les entreprises soumises au régime ACCIS, tel que proposé ne seraient amenées à échanger qu’avec une seule autorité fiscale au sein de l’UE. Une administration fiscale performante en termes de réactivité et de qualité de service pourrait constituer un facteur clé pour attirer les quartiers généraux des entreprises au Luxembourg. Cela étant, il faudrait que ces effets soient suffisamment importants pour compenser les autres effets négatifs
- La proposition de la Commission en matière d’intérêts notionnels pourrait être très intéressante afin de ne pas défavoriser les entreprises fortement financées par fonds propres en leur permettant de déduire des intérêts notionnels calculés sur une partie de leurs capitaux propres. Néanmoins, d’après les dernières évolutions, cet aspect risque d’être abandonné dans le cadre des travaux législatifs européens, alors qu’un tel régime, pourrait, tout comme le régime fiscal en matière de R&D, exister de manière indépendante au niveau national.