Ce document constitue la contribution de la FEDIL à la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la protection des personnes signalant des violations du droit de l’Union européenne («UE»).
CONTEXTE
En Europe, la protection des lanceurs d’alerte dépend aujourd’hui de la législation des États membres et des corpus de règles adaptées aux différentes traditions juridiques nationales. À la suite de révélations telles que «LuxLeaks» ou «Panama Papers», le Parlement européen a fait appel à une protection renforcée et harmonisée des lanceurs d’alerte à travers l’UE et la Commission européenne a décidé de prendre de nouvelles mesures, notamment contre l’évasion et le dumping fiscal.
Le 23 avril 2018, la Commission a proposé d’introduire de nouvelles règles applicables dans toute l’UE et visant à garantir une protection accrue des personnes qui signalent des violations ou des abus du droit de l’UE, qu’elles soient dans une relation de travail directe ou indirecte avec l’entité litigieuse. La proposition de directive prévoit l’établissement de canaux de signalement internes et externes puis, une protection considérable des dénonciateurs contre un nombre de comportements ou de décisions qui pourraient faire acte de représailles. Comme cela est notamment le cas en droit luxembourgeois, la charge de la preuve reposera sur l’employeur, de sorte qu’il devra prouver qu’il n’agit pas en représailles contre le dénonciateur, objet de certaines mesures.
Le Luxembourg a reconnu que les lanceurs d’alerte peuvent jouer un rôle important dans la découverte d’activités illégales portant atteinte à l’intérêt public. Un niveau élevé de protection des lanceurs d’alerte a donc été introduit par la loi du 13 février 2011 renforçant les moyens de lutte contre la corruption et portant modification du Code du travail, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut des fonctionnaires de l’État, de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, du Code d’instruction criminelle et du Code pénal. Afin de remédier de manière effective à toute infraction éventuelle, cette nouvelle loi encourage l’employé à alerter son employeur ou le Parquet, lorsqu’il prend connaissance de faits constitutifs de prise illégale d’intérêts, de corruption ou de trafic d’influence au sens des dispositions du Code pénal.
Commentaires généraux
La FEDIL soutient toute initiative dont l’objectif est de prévenir les infractions aux règles de droit de l’Union et reconnaît la nécessité de mettre en place un cadre de protection des lanceurs d’alerte pour contribuer au respect de ces règles. Dès lors que maintenir une bonne réputation au niveau national tant qu’européen et international est fondamental pour nos entreprises, elles s’engagent continuellement à faire valoir une culture de conformité et protéger ceux qui contribuent au respect des lois.
La protection des lanceurs d’alerte est un outil important pour mieux lutter contre les comportements illicites et un nombre d’entreprises luxembourgeoises ont désormais mis en place des procédures équitables et efficaces visant à protéger les personnes concernées. Toutefois, un tel engagement représente une charge bureaucratique lourde pour les plus petites et moyennes entreprises, lesquelles concentrent leurs efforts pour être conformes à d’autres règles européennes (p.ex. la protection des données personnelles ou le géoblocage). Pour les entreprises relevant du secteur de travail saisonnier ou de l’intérim, une autre difficulté sera de déterminer si elles se situent dans le seuil de 50 employés et donc concernées par les obligations que la proposition impose.
De manière générale, si nos entreprises soutiennent l’objectif de la directive proposée, elles font appel à ce qu’il y ait un plus juste équilibre entre la protection des lanceurs d’alerte et celle des employeurs. Nous regrettons le manque de garde-fous contre l’utilisation abusive de ce cadre de protection et la divulgation d’informations sensibles aux concurrents. Les secrets commerciaux, d’affaires et professionnels tout comme les données personnelles des entreprises et personnes impliquées méritent pourtant une protection tout aussi efficace. En effet, des divulgations illégales, infondées ou corroborées peuvent avoir des conséquences économiques ou de réputation néfastes.
Commentaires spécifiques
I. Le champ d’application
Dans l’objectif de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur, la Commission a proposé un champ d’application matériel quasi-horizontal (article 1). Or, force est de constater que la proposition de directive couvre des domaines où il n’est pas suffisamment démontré qu’une harmonisation de la protection des lanceurs d’alerte est nécessaire pour garantir le respect du droit de l’Union.
A titre d’exemple, le droit de la concurrence profite déjà d’un régime de dénonciation par le biais des procédures de clémence.
Par ailleurs, les comptes annuels sont contrôlés par un expert indépendant qui vérifie la conformité de l’entreprise aux règles de comptabilité.
Ensuite, la définition extensive du lanceur d’alerte dépasse le cadre de la relation de travail pour s’étendre aux sous-traitants, fournisseurs actionnaires et même les bénévoles ou stagiaires de courtes durée non rémunérées (article 2). Il faut éviter que les entreprises soient à la merci de «lanceurs d’alerte» externes de mauvaise foi (par exemple candidats mécontents qui n’ont pas réussi à obtenir un emploi dans une entreprise, concurrents,…) souhaitant nuire à la réputation de l’entreprise.
Il est également difficile de voir comment les actionnaires qui supervisent normalement l’entreprise de l’extérieur pourraient devenir des lanceurs d’alerte. D’autres instruments nationaux comme le droit commercial et le droit des sociétés permettent déjà de protéger leurs intérêts. Ils peuvent poser des questions en assemblée générale et communiquer leurs doutes en amont, dans le cadre de dialogues institutionalisés.
II. Les structures et procédures de signalisation (articles 4 et s.)
La FEDIL salue la mise en place de canaux de signalisation et soutient l’idée selon laquelle les procédures devraient dans un premier temps être internes. Le recours aux canaux internes devrait être la règle principale et privilégiée. Ce n’est que si l’entreprise n’a pas donné suite au lanceur d’alerte que le recours aux canaux externes devrait être déclenché. Pour rendre la dénonciation plus efficace, les entreprises prendront toutes les mesures nécessaires pour augmenter encore plus la visibilité et l’utilisation des canaux internes.
La création de canaux externes en désignant des autorités publiques améliorera la protection des lanceurs d’alerte lorsque l’entreprise n’a pas pris de mesures pour remédier à l’infraction dénoncée. Toutefois, encore faut-il prévoir expressément quelle autorité serait compétente, rsp. si une association établie sous forme de personne morale de droit privée serait apte à recevoir l’ensemble des alertes. Sur ce, la FEDIL recommande la nomination d’une autorité publique et ainsi éviter toute possibilité de corruption supplémentaire.
En outre, la directive proposée devrait garantir la possibilité pour les entreprises de s’engager dans une collaboration efficace avec les autorités désignées lorsque le lanceur d’alerte décide d’utiliser les canaux externes.
La proposition de la Commission prévoit ensuite que le lanceur d’alerte bénéficie de la protection lorsqu’il rend ses divulgations publiques alors même qu’elles ont été rejetées par le canal externe, c’est-à-dire l’autorité compétente désignée. Cette disposition ne devrait pas être valable. Au contraire, lorsque l’autorité constate qu’il n’y a ni comportement ni acte illégal, l’information divulguée n’est pas pertinente pour le public. La signalisation externe et directe aux médias devrait avoir lieu que dans des circonstances exceptionnelles, lorsque des intérêts d’importance sociétale vitale sont en jeu ou en dernier recours contre un danger substantiel, irréversible et imminent.
Plus particulièrement, la signalisation de secrets commerciaux au public cause un préjudice irréversible à l’entreprise. La proposition devrait donc explicitement prévoir que le lanceur doit passer par le canal interne de l’entreprise au cas où il y aurait un risque de révéler des secrets d’affaires. Le recours aux médias ne devrait pas, dans tels cas, être systématiquement autorisé.
III. Le juste équilibre entre protection du lanceur d’alerte et protection de l’entreprise
a. Les critères d’accès à la protection (article 13)
Les membres de la FEDIL encouragent la signalisation de toute information pertinente relative à une violation éventuelle du droit de l’Union. Or, il convient de veiller à ce que les salariés de mauvaise foi, qui signalent par exemple des faits hypothétiques, ne se voient pas accorder la protection prévue par la proposition de directive. Pour bénéficier d’une protection accrue, la personne concernée devrait avoir des motifs raisonnables à penser qu’il y ait violation ou abus du droit de l’Union. En effet, la directive proposée indique que «les personnes déclarantes doivent raisonnablement croire, à la lumière des circonstances et des informations dont elles disposent au moment du signalement, que les faits rapportés par elles sont véridiques». Les considérants 60 et suivants expliquent que cela est nécessaire pour protéger les entreprises contre les signalements malveillants, frivoles ou abusifs, en veillant à ce que ceux qui signalent délibérément et sciemment des informations fausses ou trompeuses ne bénéficient pas d’une protection.
Or, nous estimons qu’il faut définir de façon précise ce qu’est le «doute raisonnable» afin d’éviter les abus. Pour ce faire, il semble nécessaire de préciser qu’une personne ne peut avoir de doute raisonnable que si elle possède les connaissances nécessaires relatives à l’infraction qu’elle souhaite reporter afin d’éviter qu’une mauvaise interprétation n’affecte la réputation de l’entreprise. D’autant plus que le doute peut subsister alors qu’une affaire a été classée par l’autorité compétente, il est important de requérir des faits et éléments matériels et tangibles, permettant de déclencher une enquête.
Nous sommes également d’avis que la protection ne devrait être valable que si la personne en a la possession légitime.
De plus, avoir le doute raisonnable comme critère d’accès au régime de protection proposé risque de créer un climat de méfiance, notamment dans un petit pays tel que le Luxembourg où les réseaux sont étroits.
b. La liste des mesures de représailles (article 14)
Étant donné que les entreprises sont mieux placées pour documenter les raisons des décisions prises concernant les lanceurs d’alerte et ainsi prouver qu’il ne s’agit pas d’une mesure de représailles, nous convenons au transfert de la charge de la preuve aux entreprises, telle que le cas dans la loi luxembourgeoise actuelle. Cette mesure garantit également une prise de décision prudente et bien documentée de la part des entreprises.
La FEDIL ne s’oppose pas à l’établissement d’une vaste interdiction de mesures de rétorsion. Or, certaines mesures reprises dans la liste proposée par la Commission ne sont pas adaptées ou risquent d’entrer en contradiction avec le droit national. Ainsi, le non-renouvellement du contrat de travail temporaire (art. 14 j)) risque de se heurter au droit national qui prévoit qu’un contrat conclu à durée déterminée peut être renouvelé au maximum 2 fois sans que sa durée totale, renouvellement(s) compris, ne puisse excéder 24 mois. Par ailleurs, il est de la nature même de tout contrat conclu pour une durée limitée, qu’il s’agisse d’un contrat de travail ou d’un un contrat conclu pour des biens ou des services (art. 14 m)), qu’aucun des contractants ne peut être obligé à continuer les relations au-delà de la date convenue Surtout, faut-il que la liste de représailles prenne en compte la situation particulière des entreprises de travail temporaire où chaque intérimaire est employé par l’entreprise de travail intérimaire et où la non-conversion du contrat de travail temporaire en un contrat permanent est inhérente à la relation de travail. La protection du lanceur d’alerte ne devrait donc pas aller jusqu’à contredire les règles de droit bien établies des États membres et aller jusqu’à poser des obligations d’emploi aux entreprises, lesquelles remettent en question les droits qu’ils ont en vertu du droit du travail.
Les États membres devraient disposer d’une plus grande latitude pour déterminer les mesures de représailles interdites et les recours dont disposent les victimes de telles mesures, en particulier pour les harmoniser avec les régimes de protection accordés à d’autres catégories de personnes vulnérables (par exemple représentants du personnel, femmes enceintes ou allaitantes, …)