Position de l’UEL relative à la proposition de directive COM(2017)253 concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et aidants et abrogeant la directive 2010/18/UE du Conseil
Résumé synthétique
L’objectif général de la Proposition de directive sous avis est de garantir la mise en oeuvre du principe de l’égalité entre hommes et femmes en ce qui concerne les chances sur le marché du travail et le traitement au travail. Selon la Commission européenne (ci-après, la « Commission »), l’actuel cadre juridique au niveau de l’Union européenne (ci-après, l’« UE ») et des Etats membres prévoit peu de dispositions pour que les hommes assument une part égale des responsabilités familiales au côté des femmes. La Commission affirme qu’il est avéré que l’existence de congés et de formules souples de travail permet d’atténuer fortement l’incidence des responsabilités familiales sur l’emploi des femmes. Elle estime que la Proposition de directive devrait être très bénéfique pour les citoyens, les entreprises et la société au sens large.
La démarche de la Commission sous la bannière « égalité hommes-femmes » pourrait se résumer comme suit : partant du constat que ce sont principalement les femmes qui quittent entièrement ou partiellement leur travail pour s’occuper de leurs enfants à la naissance ou de leurs proches en difficulté, la Commission entend octroyer aux hommes et aux femmes des droits à cet effet, en principe sans réduction de rémunération, espérant motiver les hommes à prendre leur part de responsabilité. Pour l’UEL, l’opération consiste à répartir une charge supportée à l’heure actuelle principalement par les femmes, charge qui réduit leurs rentrées financières et leur couverture sociale, sur la collectivité au sens large, et en particulier sur les entreprises.
L’UEL se prononce contre la Proposition de directive sous avis. Outre les questions de compétence de l’UE (points 1 et 2), elle estime que les mesures envisagées risquent d’avoir un impact négatif sur l’occupation professionnelle des femmes et sur la compétitivité de l’UE au niveau international (points 3 et 4). Ces mesures sont également de nature à nuire au bon fonctionnement des entreprises, en particulier des PME. Les coûts financiers et surtout les contraintes internes de gestion et de ressources humaines des entreprises sont largement sousestimés par la Commission, sinon tout simplement ignorés (points 5 et 6).
L’UEL tient à souligner que les Etats membres ont déjà réussi à augmenter ces dernières années le taux d’emploi des femmes. Au Luxembourg, ce taux a atteint un sommet historique de 65% (2015) par rapport à 62% en (2010). Sur toute l’Europe, la croissance a été de 5% sur 10 ans. L’UEL invite la Commission à recourir à d’autres voies pour accroitre l’égalité hommes/femmes sans nuire à la compétitivité des entreprises.
Considérations concernant la compétence de l’UE, des Etats membres et des partenaires sociaux au niveau européen
1. L’UEL s’interroge sur la pertinence de l’article 153 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en matière d’égalité entre hommes et femmes comme base légale pour justifier une approche aussi invasive de la Commission dans le droit du travail des Etat membres, visant à créer et renforcer des droits pour les salariés en matière de congés et d’organisation du temps de travail. Elle estime que la Proposition de directive contrevient aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.
En effet, il n’existe pas de compétence au niveau européen pour fixer le niveau des salaires et d’indemnisation alors que la Proposition de directive prévoit, pour les différents congés, un niveau d’indemnisation au moins égal à celui des indemnités de maladie. Par ailleurs, si l’UE peut, dans le domaine social, fixer des normes minimales, la démarche retenue dans la Proposition de directive aboutit plutôt à une harmonisation complète. Cette Proposition de directive oblige même les Etats membres aux plus hauts standards sociaux. Ainsi, rien qu’au Luxembourg où la législation sociale est pourtant très généreuse, la Proposition de directive imposera des contraintes supplémentaires :
- allongement sensible du congé de paternité à 10 jours au lieu de 2 jours (ou au lieu de 5 jours dans le projet de loi n° 7060 déposé en 2016),
- ouverture nettement plus large du congé aidant par rapport aux cas d’ouverture du congé d’accompagnement des personnes en fin de vie (5 jours/cas/an) et du congé pour raisons familiales (2 jours/enfant/an, sans préjudice de la nouvelle répartition des jours suivant l’âge de l’enfant prévue dans le projet de loi n° 7060) qui existent actuellement au Luxembourg,
- obligation d’indemniser les congés (renforcés ou nouvellement créés par la Proposition de directive) à un niveau au moins égal à celui octroyé en cas de maladie qui est très élevé au Luxembourg, bien plus élevé que dans bon nombre d’Etats membres ; cette obligation implique notamment une indemnisation accrue du congé parental qui vient pourtant déjà d’être revue à la hausse en 2017 et empêche à l’Etat de moduler l’indemnisation des nouveaux congés et des congés renforcés,
- introduction de nouveaux droits en matière d’organisation du temps de travail,
- et introduction de nouveaux cas de protection contre le licenciement.
Au Luxembourg, il existe également une assurance dépendance obligatoire pour apporter de l’aide à une personne lorsqu’elle ne peut plus assurer elle-même ses soins, financée via les cotisations sociales, sans oublier les nombreux avantages et congés prévus par les conventions collectives de travail pour les secteurs et entreprises qui ont les moyens de les octroyer à leurs salariés.
Par conséquent, l’affirmation de la Commission suivant laquelle la Proposition de directive respecte les pratiques nationales bien établies concernant les congés et les formules souples de travail ainsi que les compétences des partenaires sociaux d’en définir les dispositions spécifiques ne se vérifie pas pour un pays où l’acquis social est pourtant déjà très développé. Le Luxembourg devra en définitive probablement ajouter des droits aux droits généreux existants, faute pour ceux-ci de répondre aux formes (excessives) imposées par la Proposition de directive.
2. L’UEL désapprouve de manière générale le passage en force de la Commission dans une matière qui relève du pouvoir de négociation des partenaires sociaux, et en particulier la volonté d’abroger la directive 2010/18/UE portant application de l’accord-cadre révisé sur le congé parental conclu par BUSINESSEUROPE, l’UEAPME, le CEEP et les CES. En plus d’une légitimité politique douteuse, l’approche adoptée crée un précédent qui doit être rejeté.
La Proposition de directive méconnaît l’autonomie des partenaires sociaux et l’esprit du traité suivant lequel la Commission et le Conseil ne peuvent pas modifier le contenu des accords entre partenaires sociaux. Cette démarche contredit l’objectif affiché publiquement de cette Commission de promouvoir, défendre et relancer le dialogue social dans le cadre d’un vaste projet initié par son Président. En 2009, les partenaires sociaux européens ont convenu d’exclure de l’accord toute disposition sur le montant de l’allocation et la durée du paiement, afin de laisser aux États membres la possibilité de tenir compte de leur situation nationale. Cette volonté est aussi ignorée dans le cadre de la Proposition de directive. Finalement, alors que les Etats membres se voient reprocher régulièrement de ne pas promouvoir suffisamment le dialogue social au niveau national, c’est la Commission elle-même qui, par cette Proposition de directive, foule aux pieds les prérogatives des partenaires sociaux européens.
Il convient pour le surplus de souligner qu’après avoir constaté le désaccord entre les syndicats et les organisations patronales au niveau européen quant aux moyens à utiliser pour une meilleure conciliation de la vie privée et professionnelle, la Commission a déposé avec la présente proposition un texte totalement déséquilibré au bénéfice exclusif des syndicats (et donc au détriment des entreprises). Ainsi, elle reprend presque intégralement le catalogue de revendications des syndicats qui souhaitaient notamment une législation au niveau de l’UE sur le congé de paternité et le congé aidant, un droit de demander des formules souples de travail, une rémunération obligatoire du congé parental et la non-transférabilité de celui-ci.
Enfin, la fixation de congés supplémentaires relève traditionnellement du dialogue social, non seulement au niveau européen, mais aussi national, comme au Luxembourg où bon nombre de conventions collectives prévoient déjà des congés supplémentaires. L’approche de la Commission risque de remettre en question les arrangements et accords existants au sein des Etats membres.
Considérations concernant l’impact de la Proposition de directive sur le marché du travail et sur la compétitivité des entreprises européennes
3. Pour l’UEL, il est loin d’être acquis que la Proposition de directive permette d’obtenir les effets escomptés en termes d’égalité hommes-femmes. En effet, cet objectif ne sera pas atteint tant que les femmes resteront en définitive les seules à utiliser les droits instaurés ou renforcés par la Proposition de directive. D’importants changements de mentalités, d’attitudes et de valeurs sont nécessaires. Ces changements ne relèvent pas directement des instruments législatifs et politiques et ne peuvent être forcés. Et si les femmes restent les seules à user de ces mesures, elles coûteront plus cher en étant davantage absentes, ce qui peut jouer en leur défaveur sur le marché du travail.
En cas de succès, c’est-à-dire si les droits sont utilisés en pratique et qu’ils le sont autant par les ommes que par les femmes, la Proposition de directive va contribuer à réduire la durée globale de travail des hommes et des femmes, ce qui impactera la compétitivité des entreprises européennes. Il s’agira de payer davantage pour des travailleurs qui travaillent de moins en moins. Un résultat contreproductif dans une Europe, déjà très généreuse sur le plan social au niveau mondial, qui peine à attirer des entreprises au niveau international en raison d’une main-d’oeuvre hors de prix dans un contexte de concurrence mondiale croissante. A noter qu’il ne serait pas réaliste de s’attendre à des réductions des taux de chômage alors qu’une réduction du temps de travail de salariés auprès d’entreprises qui souffrent déjà d’une pénurie importante de main d’oeuvre qualifiée ne peut pas être compensée par la création d’emplois en faveur des demandeurs d’emploi qui sont souvent dans cette situation du fait de leur manque d’employabilité.
Il convient aussi de soulever que les systèmes sociaux seront également mis sous pression à l’avenir du fait des changements démographiques en Europe et du vieillissement de la population, ce qui rendra difficile voire impossible le financement de toutes les formes d’absence dans bon nombre d’Etats membres.
4. La question se pose également de savoir si la Proposition de directive est de nature à atteindre les objectifs fixés pour les Etats membres dans leur globalité. Cette Proposition respecte, à juste titre, pleinement la liberté et les préférences des personnes et des familles concernant l’organisation de leurs vies et elle ne leur impose pas d’obligation de bénéficier de ses dispositions. Des distorsions au niveau de l’application de la Proposition de directive pourraient survenir si les salariés usent des facilités et droits au congé dans certains Etats membres et non dans d’autres, augmentant ainsi les écarts socio-économiques entre Etats membres et leurs entreprises respectives au lieu de les réduire. Les congés seront ainsi certainement un succès au Luxembourg qui devra les indemniser comme prévu par la Proposition de directive à hauteur de l’indemnisation due en cas de maladie, c’est-à-dire à 100 % du salaire, alors qu’ils seront probablement délaissés dans les pays qui indemnisent la maladie par exemple à 50 % ou moins du salaire.
Sur l’impact de la Proposition de directive au niveau des entreprises
5. Les contraintes internes de gestion et de ressources humaines des entreprises sont simplement ignorées. D’après la Commission, les entreprises bénéficieront d’un vivier de talents plus vaste, d’une main-d’oeuvre plus motivée et plus productive, ainsi que d’une baisse de l’absentéisme. La Commission relève en outre que la combinaison de mesures choisies représente un coût pour les entreprises, bien que relativement faible et que la majeure partie de ce coût est due à l’option « formule souple de travail » et leur acceptation, sachant que les employeurs peuvent refuser ces demandes, en particulier lorsqu’elles entraîneraient un coût excessif pour l’entreprise.
L’UEL estime que la Commission minimise à tort l’impact des « formules souples de travail » sur les entreprises en général, et sur les PME en particulier.
L’organisation du travail repose en pratique sur un équilibre souvent délicat empreint de pragmatisme entre les divers intérêts en présence. Chaque entreprise est différente, et au sein de chaque entreprise, chaque service est différent. L’UEL plaide pour que l’organisation se fasse au plus proche des réalités du terrain.
Il convient de noter que les salariés ont déjà, dans toutes les entreprises, le droit de formuler des demandes pour aménager leur temps de travail dans le respect du cadre légal en vigueur. Et en pratique, le chef d’entreprise ou le manager d’équipe a toujours intérêt à préserver la motivation d’un salarié investi dans son travail. De manière générale, les entreprises en manque de maind’oeuvre qualifiée ont intérêt à répondre positivement aux demandes des salariés pour rester un employeur attractif. Les employeurs ont donc intérêt à faire droit à de telles demandes dans toute la mesure du possible.
Instaurer une obligation pour l’entreprise de motiver son refus, comme envisagé par la Proposition de directive, est de nature à briser cette dynamique. De même, instaurer une protection contre le licenciement (au motif qu’un salarié aurait demandé ou pris un des congés visés par la proposition partie faible et non inciter au conflit ou pousser à des abus.
Par ailleurs, la flexibilité et la protection accordées aux salariés bénéficiaires des nouveaux droits ou droits renforcés par la proposition de directive, ont une répercussion qui n’est pas anodine pour les entreprises et les autres salariés qui devront en définitive s’organiser autour du cocon instauré pour les premiers. Comme les intérêts des salariés protégés seront jugés par la législation européenne comme prioritaires, l’employeur hésitera à refuser leurs demandes, et préférera en définitive en reporter le poids sur les autres salariés qui, en plus de ne pas pouvoir profiter de ces mêmes facilités, devront supporter en définitive les aménagements autour des salariés protégés. Pour caricaturer, sous couvert d’égalité, le travailleur d’un service dont les parents sont à l’étranger, n’a pas de partenaire et n’a pas quatre enfants à charge devra travailler pour ceux qui ont une (grande) famille auprès d’eux et adapter son temps de travail autour des besoins de ses collègues. La législation européenne, en allant au-delà du raisonnable, aura ainsi contribué à instaurer un climat de mécontentement voire une forme d’iniquité au sein des entreprises. La Commission ne semble pas avoir conscience du fait qu’une flexibilité bien vécue au quotidien ne s’improvise pas. En témoignent les difficultés rencontrées par les entreprises luxembourgeoises à gérer en pratique l’afflux de demandes de congé parental suite à la récente réforme qui rend le régime plus attractif financièrement et plus flexible au niveau de l’organisation du temps de travail. En témoignent également les offres de consultants qui proposent leurs services pour accompagner les entreprises qui désirent octroyer plus de liberté à leurs salariés pour leur permettre une meilleure conciliation vie privée et professionnelle dans le respect des aspirations des autres salariés et du bon fonctionnement de l’entreprise, dont l’activité s’en trouve alors dynamisée par une plus grande motivation de l’ensemble des salariés. De nombreux aspects doivent être pris en compte : sécurité et santé, respect des horaires, changement de management et formation des managers, assurances, prise en compte des désirs et besoins de chacun des collaborateurs, … Ce sont des changements de fond et même souvent de culture d’entreprise qui, pour amener un nouveau dynamisme bénéfique à tous les acteurs en présence, nécessitent du temps et des moyens dont toutes les entreprises ne disposent pas à court ou moyen terme. Il faut encourager ces changements et non les imposer.
6. Les coûts des mesures proposées ne sont tout simplement pas supportables sur un plan financier pour de nombreuses entreprises européennes, ni sur un plan budgétaire par les Etats membres. Alors que la Proposition de directive laisse aux Etats membres le choix entre ces deux options (« rémunération » ou « allocation »), il est à craindre que dans la plupart des cas, les congés seront payés par les entreprises ou financées par celles-ci à travers des cotisations sociales. Or, la question de la charge financière des droits que l’UE voudrait généreusement octroyer est une question importante qu’il convient de traiter au niveau national.
Au Luxembourg, le congé de paternité de 2 jours est un congé extraordinaire qui est à charge de l’employeur. Le projet de loi n° 7060 prévoit d’en augmenter la durée à 5 jours, toujours à charge des entreprises. Alors que les employeurs ont donné leur aval à ce changement, dans le cadre d’un accord plus global avec le Gouvernement, la Proposition de directive relance la discussion entre l’Etat et les partenaires sociaux. En effet, l’augmentation de la durée du congé des pères à 10 jours par la Proposition de directive oblige à remettre à plat la question du financement du congé de paternité dans son ensemble. L’UEL refuse qu’il continue d’être supporté par les entreprises déjà lésées par la désorganisation des services du fait de ces congés supplémentaires.
Quant au congé parental luxembourgeois (à charge de l’Etat), une récente réforme de 2016 a remplacé l’indemnisation forfaitaire par un niveau d’indemnité plus proche des salaires effectivement perçus par le salarié avant son congé parental, le cas échéant au prorata de la réduction du temps de travail pendant le congé parental. La nouvelle loi instaure un plancher minimum de 1922,96 euros par mois et un plafond maximum de 3200 euros par mois pour un salarié sous contrat à temps plein, alors que l’ancienne législation prévoyait une indemnité fixe de 1778 euros. De son côté, la Proposition de directive prévoit que le versement d’une « rémunération » ou « allocation » au moins équivalente à l’indemnité perçue par le salarié en cas de maladie. Etant donné que celle-ci n’est pas plafonnée au Luxembourg, la Proposition de directive va donc renchérir l’indemnité du congé parental pourtant déjà très généreuse et ce, alors que les finances publiques peinent déjà à gérer les charges supplémentaires de la dernière réforme induisant un risque de reporter une partie de la charge financière sur les entreprises, que l’UEL ne peut accepter.
Conclusion
Au vu de ses considérations, l’UEL estime que la Commission est malvenue d’affirmer au considérant (30) que la Proposition de directive devrait éviter d’imposer des contraintes administratives, financières et juridiques telles qu’elles contrarieraient la création et le développement de PME alors qu’elle génère elle-même par ce texte des contraintes excessives pour les entreprises.
L’UEL met en garde contre toute velléité de redorer le blason de l’UE par des mesures populaires en apparence mais contreproductives en pratique. Elle estime que les droits reconnus dans la Proposition de directive devrait être revus à la baisse, et que d’autres mesures, comme l’accès à des structures abordables d’accueil d’enfants ou d’aide à la personne, devraient également être considérées. Il est essentiel d’adopter une approche globale raisonnable qui laisse suffisamment de marge de manoeuvre aux Etats membres (en fonction de leurs moyens et des autres mesures et facilités qui existent déjà au niveau national) et aux entreprises (dans la gestion de leurs équipes au quotidien).