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Printemps des Entreprises – 12 mai 2022

Discours de Michèle Detaille en présence du Premier ministre Xavier Bettel

Monsieur le Premier ministre,
Mesdames, Messieurs les Ministres et Députés,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Chers membres,
Chers amis de la FEDIL,

Merci de votre présence. Elle nous réjouit.

Un merci tout particulier à Monsieur Xavier Bettel, le Premier ministre qui cette année a pu être des nôtres.
Je remercie aussi notre orateur de la soirée, Monsieur Geert Van Poelvoorde, CEO d’ArcelorMittal Europe et président d’Eurofer, pour sa présence parmi nous. Vous avez lu l’intitulé de son exposé, nul doute que son expérience et ses fonctions nous apporteront un éclairage très intéressant. Je le remercie déjà pour les constats, idées et réflexions qu’il partagera avec nous tout à l’heure.

Notre rencontre d’aujourd’hui était impensable, voire interdite il y a quelques mois. Nous pouvons être ici ensemble parce les effets de la pandémie diminuent. Nous pouvons revivre plus ou moins normalement dans notre région du monde. Ce n’est pas encore le cas partout sur notre planète.

Le règne de la maladie et les restrictions qui y sont liées dans plusieurs parties du monde impactent nos entreprises. Beaucoup d’entre nous en ressentent les conséquences directes ou indirectes dans leurs chaînes d’approvisionnement.

Par ailleurs, la guerre menée par la Russie en Ukraine nous touche particulièrement. L’indicible souffrance du peuple ukrainien nous émeut. Elle nous rend solidaires des réfugiés qui s’éloignent des zones de combats. Cette guerre a lieu aux portes de l’Union européenne, sur notre continent. Cela nous interpelle. Cette guerre affecte aussi nos économies. Les sanctions décidées par l’Union européenne à l’égard de l’agresseur russe perturbent nos activités. Monsieur le Premier ministre, je l’ai dit à l’occasion de notre assemblée générale et je le répète ici : La FEDIL soutient pleinement la politique de sanctions menée par l’Union européenne.

Les réactions de nos autorités publiques face aux crises que je viens d’évoquer ont et auront des effets sur notre économie. Selon le type et l’intensité des réactions, les résultats seront différents. Je souhaite partager avec vous quelques réflexions sur les conséquences que ces décisions auront sur notre avenir.

Les mesures de confinement et le nombre important de personnes en incapacité de travail à travers la planète nous ont fait comprendre l’importance d’un bon fonctionnement des chaînes d’approvisionnement dans notre monde globalisé.

La guerre en Ukraine et les sanctions à l’égard de la Russie nous font découvrir les conséquences d’une perturbation d’une partie de cette chaîne globale, une petite partie, certes mais une partie déterminante pour notre région du monde, car elle concerne les approvisionnements en énergie, en matières premières et en produits intermédiaires de base.

Au même moment, la Commission européenne annonce un nouveau cadre légal sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de droits de l’Homme et d’environnement dans les chaînes de valeur mondiales. A quoi nous obligerait ce texte ? Nos chaînes d’approvisionnement du début à la fin, en amont comme en aval, devraient être composées d’intervenants qui répondent à nos standards en matière de droits de l’Homme, de protection de l’environnement ou d’autres critères que le législateur définirait.

Parallèlement, l’agenda de la décarbonation et de la transition énergétique exige l’abandon progressif de plusieurs sources d’énergie, avec comme conséquence l’abandon de procédés qui ont dominé dans nos activités de production et de consommation. Cet agenda prévoit une tarification CO2 ou une taxation incitative des produits locaux ou importés qui ne répondent pas encore aux critères de décarbonation. Notre invité vous en parlera tout à l’heure plus en détail.

Le devoir de vigilance, la transition énergétique, la taxe carbone, les sanctions contre la Russie, ces quatre chantiers sont importants. Nous partageons les objectifs qu’ils poursuivent. Ces quatre sujets nous préoccupent. Ils nous préoccupent parce qu’ils représentent un énorme défi pour nos entreprises et pour nos sociétés. Les orientations et les décisions prises autour de ces thèmes ne se limitent pas à un exercice théorique, elles touchent aux fondements de notre économie.

À l’occasion de la dernière tripartite, nous avons pu remarquer à quel point les représentants de nos salariés sont attachés au maintien du pouvoir d’achat de leurs membres. On a certes pu observer quelques différences entre les syndicats, mais aux yeux de nos partenaires sociaux, l’inflation doit être largement compensée pour permettre à tous les consommateurs d’acheter comme avant.

Or, les quatre sujets que je viens de mentionner (et je pourrais en mentionner d’autres) ont tous un point commun :  ils diminuent une partie significative de l’offre sans garantir pour autant la disponibilité d’une offre alternative comparable. C’est ce que nous vivons en ce moment même. Les consommateurs et les entreprises n’ont pas d’autre choix que d’acheter ou de consommer autrement, de renoncer ou de retarder aussi longtemps que la demande dépasse l’offre disponible. L’inflation règle la question de l’inadéquation me direz-vous. Oui, nous savons tous que ce sont les prix qui rééquilibrent l’offre et demande.  Dans ce cas, le coût social pourrait s’avérer redoutable. C’est ce que nous sommes aussi en train de vivre maintenant. On trouve dans l’accord tripartite des réponses à cette préoccupation sociale.

D’aucuns pensent qu’il n’y a qu’à attendre la fin des pénuries en compensant les hausses de prix pour calmer les consommateurs. Malheureusement, cela ne ferait que différer le problème, car les changements en cours qui affectent l’offre sont structurels.

On ne se trouve qu’au début des bouleversements dictés par l’urgence climatique, par les évolutions géopolitiques ou par l’exportation de nos valeurs à travers les relations commerciales de nos entreprises.

L’enjeu va bien au-delà de la question énergétique ou des matières premières que l’on trouve parfois quasi exclusivement dans des pays dont les pratiques sont peu ou pas compatibles avec nos standards de gouvernance.

Prenons l’exemple du monde immatériel des données, ces fameuses datas dont tout le monde parle. Dans ce domaine aussi, nous nous rendons compte que les pratiques de nos partenaires commerciaux ne sont pas les nôtres.

La genèse, le stockage, le traitement, la protection des données personnelles, le développement et l’application de l’intelligence artificielle ou encore le type d’acteurs impliqués divergent beaucoup en fonction des espaces économiques et politiques.

L’Union européenne est en train de se doter de standards qui visent à concilier le développement ultrarapide du monde digital avec nos valeurs et avec nos standards de sécurité.  Cela signifie que des produits de communication, des solutions de décarbonation ou des traitements médicaux basés sur des données ou des algorithmes non conformes aux yeux de l’Union européenne ont vocation à disparaître de nos marchés. Il faudra alors expliquer au consommateur européen qu’il ne peut pas disposer de ces produits ou qu’il ne peut pas utiliser ces services parce qu’ils ne sont pas conformes à nos règles et à nos valeurs.

Nous savons tous, Monsieur le Premier ministre, qu’il n’est ni facile ni agréable d’expliquer aux citoyens qu’il faut renoncer à quelque chose ou qu’il faut le payer plus cher alors que d’autres accèdent facilement au produit ou au service convoité.  C’est sans doute une des raisons pour lesquelles le discours politique porte de plus en plus sur le rapatriement des développements et des productions. Il y a une volonté exprimée par le monde politique européen de nous rendre plus indépendants par rapport aux pays tiers en général et surtout par rapport aux pays ou aux entreprises dont nous réprouvons les pratiques et les valeurs parce que nous les considérons comme contraires aux nôtres.

Cette intention de rapatriement de la production porte plusieurs noms :  reshoring, nearshoring, autonomie stratégique ouverte, réindustrialisation , etc… Au-delà des appellations, cette intention louable ne peut que nous réjouir, nous qui sommes au quotidien les acteurs de la production de biens et de services. Si on veut concrétiser cette volonté de produire localement, cela exige de la cohérence dans nos politiques et cela ne doit pas signifier l’abandon de nos liens commerciaux avec d’autres régions.
Parlons de la cohérence :

  • Que penserait-on, Mesdames, Messieurs, d’un pays qui voudrait abandonner un réseau mondial d’approvisionnement au profit d’une ou de quelques productions locales si on sait que le développement, voire la continuité de son économie exige une diversification des sources d’approvisionnement ?
  • Que penserait-on d’un gouvernement qui attaquerait la taxonomie proposée par la Commission européenne sur le gaz naturel et le nucléaire alors qu’il proclamerait dans le même temps qu’il faut construire l’indépendance énergétique européenne ? Si on veut remplacer les importations russes, une augmentation de la production européenne de gaz s’impose car nous en avons besoin comme énergie de transition.  Quant au nucléaire, la discussion est lancée par ceux qui veulent développer rapidement une production d’hydrogène indigène pour ne pas tomber dans les mêmes dépendances qu’on a connues pour le gaz et le pétrole.
  • Aujourd’hui, les autorités demandent à certains acteurs de la transition énergétique de reprendre en main des raffineries ou des infrastructures gazières pour assurer l’approvisionnement de notre population dans le cadre d’une contrainte de reshoring, en attendant un déploiement suffisant de sources d’énergies décarbonées. Dans le même temps, on veut exclure complétement du fonds de compensation les investissements qu’ils effectuent. Où est la cohérence ?
  • Est-ce cohérent, Mesdames, Messieurs, que des recours administratifs prennent 10 ans et qu’à la fin on doit se rendre compte que, nonobstant toutes les procédures respectées, on est encore loin de pouvoir accueillir un site de stockage de données, données que l’on dit par ailleurs vouloir rapatrier ou garder chez nous ?
  • Est-ce cohérent de rejeter plusieurs projets d’investissement de production industrielle destinés à desservir le marché régional, des projets que même le plus fanatique de la globalisation trouverait bien lotis dans notre pays ? Notons que ces usines ont été installées en un temps record à nos frontières dans des pays qui ne sont pas moins vertueux que nous.
  • Est-ce crédible de suggérer une exploitation locale ou régionale significative de minerais tels que le lithium ou le silicium, vous savez ces métaux qui entrent dans la composition de nos téléphones, ordinateurs portables et écrans plats ?  Leur transformation chez nous est-elle possible lorsqu’on sait que les quelques projets lancés en Europe avancent à peine ou échouent à cause d’une législation restrictive et de possibilités de recours omniprésentes dans nos lois et règlementations ?
  • Est-ce cohérent de suggérer une réduction généralisée du temps de travail quand on prétend vouloir compléter le tissu économique actuel par une panoplie d’activités à rapatrier alors que les activités actuelles peinent déjà à trouver la main-d’œuvre dont elles ont besoin ?

Mesdames, Messieurs,

Vous le constatez, le sujet des chaînes d’approvisionnement touche la quasi-totalité des thèmes qui nous préoccupent. Les grands points d’interrogation qui planent sur notre économie y sont tous étroitement liés.

Les retards de livraison, (nous lisons dans le Financial Times que Volkswagen a constaté fin mars que les véhicules électriques sont sold out pour  2022), les pénuries, l’inflation, le pouvoir d’achat, les progrès technologiques de santé ou les chances de réussir la transition énergétique et d’avancer sur le chantier de la digitalisation :  tous ces sujets dépendent d’un bon fonctionnement des chaînes d’approvisionnement, y compris de l’accès aux ressources rares et évidemment de la disponibilité de collaborateurs qui s’y investissent.

Il appartient à la politique de trouver le bon équilibre pour tracer un cadre qui tienne dûment compte des souhaits des consommateurs, des ambitions sociétales et de la nécessité de moderniser notre économie. Pour trouver cet indispensable équilibre, il faudra que les décideurs s’attachent chaque jour à penser et à appréhender la question des interrelations, des faisabilités et des effets potentiels des décisions qu’ils prennent.

Nous avons, nous aussi entrepreneurs, un rôle clé à jouer. Par nos efforts de recherche et d’innovation, par le développement et la mise en place de nouveaux business models, par l’introduction progressive de principes de circularité, par le recours aux énergies décarbonées ou renouvelables, ou encore par la promotion du bien-être de nos collaborateurs, nous avons notre part de responsabilité, et elle est importante dans la réussite de ce projet.

Nous espérons que les consommateurs et les investisseurs, y compris les responsables de marchés publics, nous suivront et qu’ils contribueront à la cohérence entre aspirations et comportements.

Monsieur le Premier ministre, nos attentes à l’égard du monde politique sont grandes : nous souhaitons que vous et vos collègues créent un encadrement incitatif à la transition de notre économie vers un modèle durable. Pour cela, il faut de la cohérence, il faut du temps, il faut aussi renoncer à une frénésie de réglementation souvent européenne qui augmente continuellement le pourcentage de travail improductif dans nos entreprises alors que nous devons mettre toutes nos forces dans l’innovation et l’adaptation de nos entreprises à ce monde en constante évolution.

Monsieur le Premier ministre, pendant la pandémie et lors de la tripartite, vous avez montré que vous compreniez les enjeux de la survie de notre économie. Nous avons constaté que nous sommes capables de réagir vite et de manière appropriée lorsque les forces vives travaillent main dans la main. Nous vous en savons gré. Les défis que je viens d’évoquer sont cruciaux pour nos entreprises. Je vous demande d’utiliser le bon sens et le pragmatisme qui caractérisent notre pays pour aborder ces sujets importants. Je vous demande de le faire ici dans le pays mais aussi au niveau européen, où, malgré votre relatif jeune âge, vous êtes un des membres les plus expérimentés du Conseil européen.

Nous comptons sur vous et vous pouvez compter sur nous.

Michèle Detaille
Présidente FEDIL
12 mai 2022

Photos

FEDIL – Printemps des Entreprises 2022, Photo: Ann Sophie Lindström
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